21 octobre 2020 - Le collectif IndieHosters
Si jusque là nous avons mis l’accent dans nos billets de blog sur nos méthodologies, il est temps pour nous de vous parler de l’histoire et de la dynamique de notre collectif. Cette semaine, nous avons fait le point à six mois depuis le démarrage du projet Liiibre, en axant l’essentiel de nos échanges sur l’humain. Et comme c’était assez émouvant à vivre, nous avons envie de le partager avec vous ! Mais pour que l’histoire soit complète, reprenons du début…
2015 : lancement du projet
IndieHosters est une aventure qui démarre en 2015, sous l’impulsion de Pierre Ozoux et Michiel de Jong. Une campagne de crowdfunding a permis de lancer le projet grâce à 87 contributeur⋅ices convaincu⋅es par l’idée proposée. Le constat ayant mené à ce projet était le suivant : le libre nous semblait la voie à suivre. Mais, alors que l’argumentaire autour du libre se construisait, notamment avec des acteurs comme Framasoft, le passage à l’acte restait complexe. À la question: “OK, je veux passer au libre, comment je fais ?”, la réponse restait encore trop technique donc peu accessible à un public large.
L’objectif était alors d’offrir une expérience simplifiée et cohérente à la “Google” (“click to signup”) et pour ce faire, de constituer un collectif d’hébergeurs. L’offre a d’abord été dirigée vers les particuliers avec le pari suivant : si le particulier est satisfait, il convaincra son entourage professionnel et personnel. À cette étape, il y avait donc la possibilité de choisir son hébergeur entre Pierre et Michiel.
2016 - 2017 : modification de la cible
En 2016 Timothée Gosselin, alors client de IndieHosters, arrive à temps plein dans l’aventure, tandis que Michiel quitte le projet. Avec l’arrivée de Tim, le laboratoire citoyen la MYNE et son écosystème (dont Tim fait partie) devient un espace d’expérimentation pour les services de IndieHosters.
C’est à cette période que s’effectue un changement progressif de cible : plutôt que de viser les particuliers, IndieHosters va se concentrer plus sur les petites organisations et les associations avec une offre de pack (Nextcloud, RocketChat, Codimd) en s’appuyant sur des réseaux. Le projet IndieHosters rejoint donc le collectif des CHATONS qui émerge à la même période et dont les objectifs sont compatibles avec ceux du projet.
2018 : soft et hard reboots
De plus en plus de signaux se manifestent autour d’une demande d’offre à destination des entreprises, dans le même temps IndieHosters signe un premier contrat avec un CFA pour un service Nextcloud à destination de 300 puis 700 élèves.
En parallèle, Pierre et Tim se questionnent beaucoup sur leur capacité à maintenir l’offre mutualisée qui, en plus d’être chronophage, s’avère au final très peu rentable. Ils décident donc de fermer les inscriptions, même si les services déjà en cours sont maintenus.
Alors que toutes les activités d’IndieHosters sont menées par des freelances, une réflexion s’engage sur un modèle association/coopérative. Cette étape est symbolisée par l’idée de “Soft Reboot”, et le collectif informel IndieHost voit le jour.
Sur le plan technique, le panel d’outils proposés évolue (voir la documentation sur libre.sh vers une version libre.sh v2 avec notamment la migration technique sur Kubernetes. Le cluster est lancé en production et les nouveaux services sont installés sur cette infrastructure.
2019 : des tensions entre nos valeurs et le modèle économique
En 2019, suite à plusieurs tentatives infructueuses d’étoffer l’équipe, Pierre et Tim prennent à la fois conscience de la dimension politique de ce projet et des difficultés à le faire grandir. Diversifier les compétences pour qu’ils puissent se focaliser sur l’infrastructure semble important, et c’est ainsi que l’association IndieHosters est officiellement créée. Mais entre les valeurs portées, et les difficultés financières à créer un nouveau poste salarié, rien n’est simple.
Globalement, depuis le début du projet, il existe une tension continue sur la recherche d’un modèle économique qui permette de répondre aux besoins et budgets d’une cible associative - majoritairement des acteurs des communs et des tiers-lieux, les particuliers et petits groupes - et les organisations de tailles plus importantes et plus classiques.
On peut le résumer en une tension entre un modèle contributif et un modèle prestataire-client : comment préserver nos racines, notre histoire, nos valeurs et notre accessibilité en consacrant mieux nos énergies sur les projets les plus à même de contribuer à l’équilibre financier de la structure ?
2020 : retour aux sources et croissance
En mars, alors que les réflexions sont encore en cours sur la mise en place d’un nouveau modèle organisationnel et économique (meta - beta - alpha), la crise du coronavirus bouscule tous les agendas :
- Il y a une forte montée en charge sur les services de l’administration française et IndieHosters les accompagne dans la gestion de crise ;
- IndieHosters soutient également spontanément des projets qui ont besoin de services numériques.
C’est alors que Pierre et Tim décident de partager leur constat face à la crise traversée et lancent dans leurs réseaux une invitation à répondre collectivement autour d’un projet dont le nom de code est alors “Gros Matou”… Est-ce une question de contexte, de timing, de maturité ? Leur appel est entendu ! En quelques semaines, Benjamin, Dominique, Maïa, Maxime, Thibault puis Maroin rejoignent l’aventure. Autant dire qu’après quatre ans à travailler en binôme, c’est une véritable révolution !
Sans faire ici une liste exhaustive de tout ce qui a été réalisé en six mois, vous imaginez bien qu’avec une telle équipe, beaucoup de choses ont changé : conception et lancement du projet Liiibre, création d’un tout nouveau site internet avec un travail particulièrement soigné sur l’identité visuelle, écriture collective d’un code social, mise en place d’un modèle de rétribution, création d’un pôle dédié à l’accompagnement, d’une documentation et bientôt d’une base de connaissances… mais aussi mise en place d’une nouvelle organisation, d’outils partagés de gestion et de communication, de réunions hebdomadaires…
Tout ça pour un résultat à la hauteur de nos espérances : les contributeur⋅ices sont au rendez-vous, Liiibre répond à un vrai besoin et nous le sentons chaque jour dans vos messages ! Non seulement nous pouvons préserver nos valeurs tout en proposant un service professionnel, mais en plus, vous êtes d’accord pour rejoindre cette dynamique contributive, de petits groupes associatifs engagés à des entreprises soucieuses d’écologie et de souveraineté sur leurs données en passant par des administrations.
Et maintenant ?
Avec toutes cette énergie déployée pendant six mois, nous avions à peine eu le temps de nous poser ! C’est maintenant chose faite. Car si quelque chose a vraiment de l’importance pour nous, ce sont les relations humaines, avec vous, et aussi dans l’équipe. Et c’est très important que cela ne soit pas qu’une déclaration d’intention dans un joli code social.
Nous avons donc pris le temps d’échanger pendant plusieurs heures sur deux jours pour faire le bilan, prendre conscience de tout le travail accompli qu’on ne voit pas forcément quand on a “le nez dans le guidon”, partager des éléments intimes qu’on laisse parfois de côté quand on travaille en groupe, et expliciter les points de tensions (inévitables après autant de changements et l’arrivée de sensibilités toutes différentes).
À la sortie de ce bilan, ce qui nous paraît clair, c’est que le pari de préserver l’élan initial de IndieHosters tout en proposant une infrastructure robuste favorisant le passage à l’échelle semble réussi. Et pour cela, afin d’aller au-delà des valeurs et des logiciels libres utilisés, il aura fallu d’une part intégrer au sein même du collectif un fonctionnement basé sur les communs, et d’autre part assumer pleinement de ne plus se conformer à un modèle “prestataire-client”. Ainsi, dans l’équipe cohabitent à la fois des personnes salariées à temps plein et des contributeur⋅ices qui donnent seulement une partie de leur temps au projet, tout en bénéficiant d’un “pot commun” de rétributions partagées. Et chaque collectif qui commence à utiliser Liiibre rejoint la communauté.
Alors bien sûr, le modèle économique est encore fragile (pas simple quand on ne fait pas de levée de fonds comme les licornes) et Liiibre mérite encore d’être amélioré pour mieux répondre aux besoins que vous avez exprimés. Évidemment, ce n’est pas facile de répondre à toutes les demandes aussi vite et aussi bien que nous le souhaiterions, et il reste du travail pour améliorer nos outils d’accompagnement. Certes, c’est parfois inconfortable d’explorer des territoires inconnus, d’expérimenter des méthodes de travail collaboratives inédites pour certain⋅es, de tâtonner pour continuer à préserver un équilibre entre fonctionnement professionnel et modèle contributif…
Mais ce qui est certain, c’est qu’IndieHosters et le projet Liiibre nous ont ouvert à toutes et tous l’opportunité d’une aventure humaine incroyable et enrichissante, et que nous ferons de notre mieux pour la pérenniser, avec votre aide :)